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François-Georges Pariset et les artistes lorrains dans les collections du palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain

Fondé en 1851 par la Société d’Archéologie lorraine[1], le Musée lorrain est dédié au patrimoine régional et plus particulièrement à celui des anciens duchés de Lorraine et de Bar, états souverains indépendants jusqu’à la mort du dernier duc Stanislas Leszczynski en 1766. Il était donc tout à fait logique que ce nouveau musée s’installe dans l’ancien palais ducal de Nancy, reconstruit à partir du XVIe siècle. Occupant en partie la galerie des Cerfs, le noyau initial du musée fut ravagé par un terrible incendie en 1871 mais, grâce à l’aide de nombreux souscripteurs, dont l’empereur François-Joseph d’Autriche, descendant des ducs de Lorraine, le bâtiment fut reconstruit et les collections reconstituées. En 1895, le collectionneur et conservateur Lucien Wiener (1828-1909) publia le catalogue des collections recensant à cette date près de 3000 objets[2].

Né à Nancy en 1904, François-Georges Pariset était le fils aîné de Jeanne-Marie Schmidt et de Georges Pariset (1865-1927), tout juste nommé professeur à la faculté de Lettres de cette même ville. Sans aucun doute le jeune garçon eut-il, durant son enfance, l’occasion de visiter le musée créé un demi-siècle auparavant. Lorsqu’éclata la Première Guerre mondiale, la famille partit pour Paris où François-Georges Pariset fit ses études à l’École alsacienne puis à Strasbourg où il suivit une licence d’histoire et de géographie au palais du Rhin. Après avoir consacré son diplôme de fin d’études supérieures à l’« Œuvre Notre-Dame à Strasbourg de 1681 à 1791 », il fut agrégé en 1927 et enseigna à Bar-Le-Duc, Haguenau puis à Strasbourg.

Premières attributions (1933-1935) : Jacques de Bellange et Claude Déruet 

Fig. 1. Pierre Marot recevant son épée d’académicien (détail), photographie,
11 octobre 1958, Palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain.

François-Georges Pariset commença à s’intéresser à l’École lorraine de peinture du XVIIe siècle dans les années 1930, en débutant son étude par l’étonnant artiste Jacques de Bellange auquel il consacra tout d’abord deux articles[3]. Ces recherches l’amenèrent à entrer en contact avec Pierre Marot (1900-1992) (fig. 1), directeur des archives départementale de Meurthe-et-Moselle depuis 1927, fonction qu’il cumula dès 1934 avec celle de conservateur du Musée lorrain. Les deux hommes étaient alors tous deux de jeunes trentenaires.

La documentation du musée conserve trois lettres que Pariset adressa à Marot en 1933 et 1936 depuis Strasbourg. Si la première, en date du 3 octobre 1933, évoque de manière très pratique les recherches archivistiques de l’historien de l’art, la seconde, envoyée le 8 octobre de la même année, offre de précieuses informations sur le travail in situ que Pariset effectuait devant les œuvres conservées au Musée lorrain :

Cher Monsieur,

J’ai écrit à M. Des Robert[4]  et lui ai demandé l’autorisation de faire photographier quelques tableaux. Il se trouve que je serai assez libre ce mois-ci après l’oral du baccalauréat et je propose le 19 et le 20 octobre. travail du photographe me permettra d’étudier de près les tableaux et j’espère que vous pourrez passer au Musée lorrain.

Le travail du photographe me permettra d’étudier de près les tableaux et j’espère que vous pourrez passer au Musée lorrain.

Si l’autorisation m’est donnée, dois-je prévenir moi-même les gardiens et Mr Bellieni[5] ?

C’est une bonne après-midi que j’ai passé au musée. On m’a prêté une échelle. Sans doute n’ai-je pu voir les tableaux qu’imparfaitement et j’ai beaucoup regretté l’absence de catalogue. Mais les résultats de ma petite enquête ne sont pas sans intérêt. Ils m’ont décidé à faire les photos le plus vite possible et je pense que vous aimerez à les connaître – confidentiellement bien entendu-.

I

Bellange.

Un des Saint François est de Bellange. Même tonalité, même fluidité, même mollesse, une technique peut-être plus vigoureuse que celle des tableaux que je connais, je veux dire, un travail plus apparent de la brosse. Des détails frappants.

Un portrait – Un empereur romain ? – m’a semblé de prime abord présenter tout ce qui caractérise selon moi le faire et l’esprit de Bellange, en tant que peintre. Je n’ai pu étudier de près le tableau qui est très mal situé, au dessus [sic] d’une armoire. Mais il y a une étiquette à gauche en bas et je crois bien avoir lu de loin « Bellange ».

II

Si Monsieur Des Robert m’en donne l’autorisation, je photographierai aussi quelques portraits.

III

Je vous parlais à la fin de notre entretien de Georges [Dumesnil] de la Tour, qui m’intéresse aussi vivement que Bellange. Or, au dessus [sic] d’une fenêtre, très mal placé, il y a un Benedicité [sic] qui est peut-être de lui. Voilà qui serait vraiment important ! 

Je vous remercie, et j’aurai dû commencer par là, de votre accueil, de vos précieux conseils (j’écris au ministère cette semaine), de votre tirage à part que j’ai déjà lu et qui me sera très utile. Je vous remercie chaleureusement et vous prie, Cher Monsieur et Ami, de bien vouloir recevoir tous mes souvenirs reconnaissants et cordiaux.

Le conservateur prit bonne note des remarques de Pariset ainsi que le montre la grande exposition intitulée Jacques Callot et les peintres et graveurs lorrains du dix-septième siècle qu’il organisa au musée en 1935, année du tricentenaire de la mort du célèbre graveur lorrain[6] (fig. 2).

Fig. 2. L’exposition Jacques Callot et les peintres et graveurs lorrains du dix-septième siècle, photographie, 1935. Palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain.

Marot choisit en effet d’exposer, outre les planches de Callot, des peintures de ses contemporains et demanda à François-Georges Pariset de prendre part au catalogue publié dans Le Pays lorrain, revue de la Société d’Archéologie lorraine et du Musée historique lorrain, au sein de laquelle il publia par la suite de nombreuses études majeures : « M. François‑Georges Pariset a bien voulu nous donner un bref raccourci de ses connaissances sur quelques-uns des artistes lorrains du XVIIe siècle, auxquels il a consacré de fructueuses recherches qui feront l’objet d’une étude d’ensemble que nous attendons impatiemment »[7]. Pariset y écrivit deux essais : le premier fut consacré à Jacques de Bellange et le second à Claude Déruet. Dans le premier, il rappela que l’artiste, auteur de plusieurs œuvres décoratives destinées à la cour de Lorraine, était un peintre mystérieux encore mal connu dont quasiment toutes les peintures avaient disparu[8]. Il y publia les deux tableaux évoqués dans sa lettre qui n’avaient jamais été ni étudiés ni publiés par le passé.

Donné au musée en 1900, le portrait d’empereur[9] représenté à la manière des médailles antiques, dans un cadre ovale en trompe l’œil, y est qualifié de « sévère et funèbre »[10]. Pariset le publia par la suite à plusieurs reprises sans jamais remettre en doute son attribution. Celle-ci provenait initialement d’une signature aujourd’hui illisible et le tableau aurait, selon lui, pu faire partie d’une série de douze empereurs romains peints pour le duc Charles IV de Lorraine. Néanmoins, suite à la découverte d’une autre source précisant que les tableaux de cette série étaient de grandeur naturelle, le tableau a été désattribué en 1979. Il dériverait plutôt d’une toile du Titien qui réalisa également une série de Césars pour le palais ducal de Mantoue ayant donné lieu à de nombreuses reproductions gravées comme celles de Battista Angolo del Moro[11].

Fig. 3. Jacques de Bellange,
Le Ravissement de saint François,
huile sur toile, vers 1600, Palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain.

La seconde toile évoquée est Le Ravissement de Saint François (fig. 3) qui porte les armes du duc François II de Lorraine et de sa femme Christine de Salm. Provenant peut-être de l’église des Cordeliers de Nancy, nécropole de la famille ducale, elle entra dans les collections du musée en 1884[12]. Pariset est l’un des premiers à s’intéresser à cette toile alors accrochée assez haut et obscurcie par de vieux vernis :

Impossible de ne pas reconnaître dans le tableau de Saint-François en extase les caractéristiques de Bellange, par exemple la figure de l’ange, sa nuque dégagée, sa chevelure bouffante. L’artiste a voulu rendre la langueur divine qui terrasse le saint au moment de recevoir les stigmates et rien n’est plus émouvant que ce corps abandonné, ce visage mourant, ces mains décharnées où s’imprime la marque de la passion. Bellange était coloriste et il suffit de sentir l’opposition entre le ciel rose, le paysage vert bleu, les boucles blondes et le visage aux chaires presque oranges. Cette œuvre vibrante nous permet de soupçonner la splendeur de décoration du palais et leur importance pour la peinture lorraine.[13]

De fait, cette œuvre constitue l’un des rares tableaux dont l’attribution à Bellange n’a jamais été remise en cause.

Le second essai de Pariset dans le catalogue de l’exposition Jacques Callot et les peintres et graveurs lorrains du dix-septième siècle (1935) fut consacré à Claude Déruet, autre grand artiste lorrain qui, plus jeune que Bellange, travailla pour le duc Charles IV de Lorraine mais aussi pour le roi Louis XIII et le cardinal de Richelieu[14]. Tentant de dresser la liste des portraits identifiés de l’artiste, Pariset se disait stupéfait par leur petit nombre qui montrait bien, selon lui, que l’œuvre de Déruet était à redécouvrir tout comme était en train de l’être la peinture de La Tour. Il publia ainsi deux portraits du musée présentés dans l’exposition : le portrait dit de Madame de Saint-Baslemont représentant une dame en Minerve, et le portrait de la fille de Déruet[15], une « œuvre simple, fraîche, et si séduisante qu’elle eût pu figurer avec honneur à l’exposition des peintres de la Réalité »[16]. Pariset évoqua également le Banquet des Amazones, œuvre prêtée à l’exposition par le collectionneur Henri Marcus, qu’il parvint à rapprocher d’une des toiles mentionnées dans l’inventaire de l’atelier de Déruet. Cette œuvre a depuis lors rejoint les collections du musée[17].

La découverte du corps de saint Alexis : un tableau de Georges de La Tour et son sujet identifié (1938)

Si, dans le catalogue de l’exposition de 1935, Pariset ne fut pas chargé de rédiger l’essai sur Georges de La Tour, le peintre lorrain était pourtant déjà au cœur de ses recherches ainsi qu’il l’évoquait dans sa lettre à Pierre Marot au sujet du Bénédicité[18]. Cette toile du musée fut en réalité exécutée d’après une gravure de Callot représentant la Sainte Famille à table, en habits du XVIIe siècle, la Vierge tenant une poire dans la main et Joseph faisant boire un verre de vin à Jésus, préfigurant ainsi la Cène et la Passion. Pariset supposait que la toile pourrait être de La Tour qu’il appelait encore « Georges [Dumesnil] de La Tour ».

Redécouvert par Herman Vos (1889-1952) au début du XXe siècle, le peintre lorrain ne fut véritablement révélé au grand public qu’en 1934 à l’occasion de la grande exposition Les Peintres de la réalité en France au XVIIe siècle au Musée de l’Orangerie. C’est à partir de cette date que Pariset commença à s’intéresser à l’artiste qui devint son sujet de thèse. Il lui consacra un premier article en 1935, dans lequel il publia ses premières conclusions, faisant suite à des dépouillements d’archives facilités par Pierre Marot qui lui permirent de mettre à jour quelques dates importantes de la vie de l’artiste[19].

Fig. 4. Georges de La Tour, La découverte du corps de saint Alexis, huile sur toile, XVIIe siècle, Palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain.

À cette époque, le Musée lorrain ne conservait encore aucun tableau attribué à Georges de La Tour[20]. Le premier d’entre eux (fig. 4) fit son apparition le 10 mai 1938, lorsque le colonel de Conigliano, conservateur des musées de Lunéville, signala à René Huyghe (1906-1997), conservateur du département des peintures au Musée du Louvre, une œuvre susceptible d’intéresser le musée parisien. Il précisait qu’elle se trouvait à Nancy chez le peintre René Leblanc qui prétendait l’avoir découverte dans un grenier local. Selon le conservateur lorrain, le tableau était de Georges de La Tour et représentait l’Ange apparaissant à saint Joseph pendant son sommeil pour lui ordonner de partir pour l’Égypte. Il écrivait : « L’effet d’éclairage, très particulier, le costume et la figure de l’ange notamment idéalisée sont tout à fait dans la manière de Georges de La Tour »[21]. Les archives des musées nationaux conservent les copies des lettres de René Huyghe adressées à René Leblanc évoquant l’intérêt du conservateur pour le tableau et son souhait de l’acheter pour le Louvre. Mais comme il le précisait lui-même dans ses lettres, le budget d’acquisition du Louvre était déjà mobilisé à cette époque pour d’autres achats et c’est finalement le Musée lorrain qui acheta la toile le 11 juillet 1938 pour la somme de 20 000 francs[22]. La même année, Pariset fut chargé de publier pour la première fois la toile dans un long article de 13 pages[23] qui commençait par ces mots :

Un nouveau tableau de Georges de La Tour a été découvert à Nancy même au début de 1938. Fouillant dans un grenier, M. René Leblanc soulève une grande toile, il est frappé par la vue d’une flamme, d’une torche et il pense aussitôt à Georges de La Tour. C’est à M. Leblanc que nous devons en premier lieu le rapprochement. M. Leblanc eût pu garder l’œuvre avec un soin jaloux. Il était aussi très libre de la vendre au loin, peut-être à l’étranger. En préférant la céder au Musée lorrain, il s’est montré bon Lorrain. Nous lui en devons une grande reconnaissance ainsi qu’à la Société d’Archéologie lorraine et du Musée historique lorrain. Combien l’initiative du bureau de cette Société a été heureuse, on s’en rendra compte si l’on veut bien considérer qu’un seul musée en Lorraine, celui d’Épinal, possédait un tableau de Georges de La Tour. Certes plusieurs œuvres ont été retrouvées ces dernières années et nous nous souvenons d’avoir vu à Nancy à l’occasion du Centenaire de Jacques Callot la peinture de la collection de M. Tulpain. Mais Georges de La Tour, le peintre national de la Lorraine, celui en qui transparaît le mieux l’âme de la Lorraine, avait sa place marquée au Musée lorrain : il est bon qu’il la prenne avec éclat. Nous nous réjouissons donc qu’une série de circonstances heureuses permette l’acquisition définitive d’un chef‑d’œuvre et nous en sommes d’autant plus satisfait que nous y voyons une composition tout à fait caractéristique de la Lorraine du XVIIe siècle.[24]

Pariset parvint par ailleurs à identifier le sujet du tableau. Il ne s’agissait pas, comme le pensait le colonel de Conigliano, de Saint Joseph et de l’ange mais de la Découverte du corps de saint Alexis. Patricien romain légendaire du Ve siècle, Alexis décida le jour même de ses noces de quitter sa famille pour se consacrer à une vie de mendicité et d’ascèse en Orient. De retour à Rome, le saint trouva refuge sous l’escalier de la maison de ses parents où il passa dix-sept années sans être reconnu. Après sa mort, il fut finalement identifié grâce au morceau de parchemin racontant son histoire qu’il tenait entre ses mains. Le culte du saint, emblème de la belle mort, fut réaffirmé au XVIIe siècle en Europe, notamment grâce aux Jésuites comme en témoignent les diverses représentations théâtrales relatant sa vie, données à l’université de Pont-à-Mousson en 1602, 1667 et 1685.

Pariset rapprocha avec raison la toile d’un tableau peint par La Tour pour le gouverneur français de Nancy, le marquis de la Ferté-Senneterre, qui reçut, le 1er janvier 1649, une « image saint Alexis », offerte par les habitants de Lunéville en guise d’étrennes. Il fallut attendre 1952 pour que soit découverte une autre version du tableau, aujourd’hui conservée à la National Gallery de Dublin, qui vint remettre en cause l’attribution du tableau nancéien. Depuis la confrontation des deux œuvres à Paris lors de l’exposition de 1972 consacrée à La Tour au musée de l’Orangerie, les spécialistes semblent s’accorder à y voir plutôt deux répliques anciennes d’un original perdu. 

Deux dessins inédits de Bellange (1951)

Après avoir publié sa thèse sur Georges de La Tour en 1948, Pariset n’en oublia pas pour autant les autres peintres lorrains, auxquels il continuait à s’intéresser, toujours grâce au soutien de Pierre Marot. En 1951, il publia ainsi, pour la première fois, deux dessins majeurs de Bellange acquis par le Musée lorrain en 1949 et 1950[25]. Dans son article, il souligna ce que ces deux acquisitions avaient d’exceptionnel, d’autant plus que le musée – qui conservait des peintures et des gravures de l’artiste – ne possédait encore aucun dessin de sa main. Selon Pariset, ces dessins étaient ceux « qui révèlent le mieux la grâce élégante et fière de l’artiste, ses passions et aussi parfois une nervosité presque maladive. […] Ils excitent de nos jours la convoitise des amateurs et ceux qui n’appartiennent pas à des collections publiques et qui sont très rares sont gardés avec soin ou âprement disputés[26] ».

Fig. 5. Jacques de Bellange, La Chasse au cerf, crayon, plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blancs, Palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain.

Le premier dessin est un lavis brun représentant la Chasse au cerf [27](fig. 5), dessin le plus important de Bellange aussi bien par ses dimensions (50 x 39 cm.), que par le nombre de personnages et l’animation de la scène. Pariset en releva la composition plus aérée et profonde que de coutume et les différents plans successifs, depuis l’élégante femme montée en amazone au premier plan jusqu’à la dernière figure presque fantomatique à l’arrière-plan. L’historien de l’art proposa de relier ce dessin au décor de la galerie des Cerfs du palais ducal de Nancy. Celle-ci avait en effet été ornée un siècle plus tôt par Hugues de La Faye d’un cycle peint représentant la vie d’un cerf mise en parallèle avec les épisodes de la vie du Christ. Ce cycle fut restauré par Bellange qui y laissa sa marque à tel point qu’on l’appela souvent « galerie de Bellange ». On pouvait donc légitimement supposer que ce dessin avait servi à l’artiste pour son travail à la galerie, mais l’étude fondamentale de Nicole Raynaud sur cette salle a montré depuis que son rôle s’était en fait cantonné à un travail de restauration[28].

Le second dessin à la plume représente une Femme agenouillée[29]. Comme le soulignait Pariset, on peine à le croire exécuté par le même artiste tant il est différent. Selon le style préféré de Bellange, la figure est traitée par une multitude de petites hachures parallèles qui créent ainsi des masses calmes et transparentes dont les formes sont extrêmement étirées. Selon Pariset, il s’agissait d’une sainte femme de l’Évangile qui observait peut-être le Christ mort descendu de la croix. Après avoir replacé ce dessin au sein d’autres compositions de l’artiste, il concluait : « Puisse l’avenir donner au Musée lorrain l’occasion d’enrichir ses collections d’un crayon ou d’une sanguine qui permettra de saisir un autre aspect de Bellange et de voir en lui un Watteau du XVIIe siècle. Dès maintenant le lavis et le dessin à la plume offrent deux tendances essentielles de son art, l’une où il se tourne vers le monde, la vie et le mouvement, l’autre où il se replie dans la méditation et attend en silence[30] ».

En poursuivant ses recherches consacrées aux œuvres du musée, Pariset collabora à nouveau avec Pierre Marot dans le dossier consacré aux dernières évolutions du musée, publié par le conservateur en 1953 dans Le Pays lorrain[31]. Marot y fit le point sur tous les travaux qui avaient été menés au cours des dernières décennies et notamment sur l’aménagement de la salle Jacques Callot et de la galerie des peintres et graveurs du XVIIe siècle, qui était grandement redevable aux travaux de Pariset : 

Si Callot reste, au Musée lorrain, l’artiste le mieux représenté, du moins par ses gravures et ses cuivres, nous avons fait une place d’autant plus ample à ses émules que depuis quelques années la notoriété de ceux-ci n’a fait que croître, grâce aux historiens de l’art qui ont renouvelé l’étude de cette période, notamment grâce aux recherches de M. François‑Georges Pariset, qui a bien voulu évoquer ici ces artistes qu’il connaît si bien et donner, une fois de plus, une marque d’intérêt à notre musée[32].

L’acquisition de La Femme à la puce : l’intervention décisive de Pariset (1955)

L’attachement particulier de Pariset au Musée lorrain trouva sa consécration lors de l’acquisition, en 1955, du tableau le plus célèbre de ses collections : La Femme à la puce de Georges de La Tour (fig. 6). L’historien de l’art relata la genèse de cet achat dans un article publié dans le Pays lorrain trois ans plus tard[33]. Dans les années 1920, le général Dalbiez acquit à Orléans un tableau portant à l’arrière une étiquette l’attribuant au peintre flamand Gerrit van Honthorst, surnommé Gérard de la Nuit. En 1955, ses héritiers souhaitèrent se débarrasser de la toile qui était alors encrassée et trouée car le tableau était tombé au sol. Ils se tournèrent alors vers Marie Berhaut (1904-1993), conservatrice du musée des Beaux-Arts de Rennes, pour solliciter son aide. Intriguée par la toile, la conservatrice contacta Pariset et lui envoya une photographie. D’abord peu convaincu de l’attribution à La Tour au vu de la qualité de la reproduction et de l’état de conservation de la toile, l’historien de l’art jugea nécessaire de la faire restaurer et, selon ses dires, réussit à convaincre les propriétaires de la présenter au musée des Beaux-Arts de Bordeaux dans l’exposition consacrée à La peinture en Espagne et en France autour du caravagisme (16 mai-31 juillet 1955). Après avoir été restauré à Paris, le tableau parvint à Bordeaux la veille du vernissage.

Fig. 6. Georges de La Tour, La Femme à la puce, huile sur toile, vers 1632-1635, Palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain.
Fig. 7. « Un Georges de La Tour récemment découvert entre au Musée lorrain »,
coupure de presse, 1955, Palais des ducs de Lorraine-Musée lorrain.

Désormais persuadé qu’il s’agissait bien d’un original de La Tour, Pariset présenta son étude lors d’une communication à la Société d’histoire de l’art français, dont il était le président, et recueillit l’adhésion de l’auditoire ce qui permit de présenter la toile lors de l’exposition avec cette nouvelle attribution[34]. Grâce à son aide, Pierre Marot et la Société d’Archéologie de la Lorraine parvinrent à lancer une grande souscription qui permit l’acquisition de la toile[35] et son accrochage sur les cimaises du musée  (fig. 7). Pariset l’évoque dans l’article publié en 1958 :

Que la servante à la puce entre dans les collections du Musée lorrain, ce vœu tout naturel de la part d’un Lorrain, a été aussi celui de M. Pierre Marot qui, mis au courant, dès le début, ayant pu voir l’œuvre à Paris, en avait senti aussitôt l’importance. C’est à lui qu’il appartiendrait de dire comment et grâce à quelle aide généreuse le Musée a pu l’acquérir dans la semaine qui a suivi la fermeture de l’exposition. La gratitude des amis de La Tour s’adressera à lui ainsi qu’au comité de la Société d’archéologie lorraine et à son président, M. Édouard Salin, à Melle Berhaut, à Melle Martin-Mery[36], et aux propriétaires qui se souvenant de leurs attaches lorraines, ont négocié plus volontiers avec le Musée lorrain.[37]

Depuis lors, l’attribution du tableau à Georges de La Tour n’a jamais été remise en cause, ce qui est d’autant plus remarquable pour un sujet sans équivalent dans l’œuvre de l’artiste.

Après cette acquisition majeure, Pariset continua à s’intéresser aux œuvres de l’École lorraine conservées au musée et publia dans Le Pays lorrain jusqu’en 1976, quatre ans avant sa mort. En 1973, Pierre Marot rappelait lui-même « tout ce que le Musée lorrain doit à François-Georges Pariset »[38]. Il n’est donc pas étonnant que sa disparition en 1980 ait trouvé un grand écho dans les colonnes de la revue. Le médiéviste Jean Schneider (1903-2004) écrivait :

Aux hommages rendus à sa mémoire, le Pays lorrain se devait de joindre les siens. Les nombreux articles qu’il y publia, le souci qu’il avait de contribuer à l’enrichissement du Musée lorrain ne sont pas les seuls motifs de notre gratitude. En projetant de vives et nettes lumières sur l’art lorrain de la Renaissance, en mettant au premier plan celui qui est avec Callot un grand artiste de ce temps, il a nourri de nouveaux et solides arguments la légitime fierté que les Lorrains ont de leur passé, il leur a également appris à se mieux connaître eux-mêmes en se reconnaissant dans les personnages de maints tableaux[39].

Pierre-Hippolyte Pénet

Conservateur du patrimoine
Chargé des collections XVe-XVIIIe siècles
Palais des Ducs de Lorraine – Musée Lorrain


[1] Elle a été rebaptisée, en 1997, Société d’histoire de la Lorraine et du Musée lorrain.

[2] Bénédicte Pasques, « Brève histoire illustrée du Musée lorrain », Le Pays lorrain, mars 2018, p. 14. Le musée compte aujourd’hui plus de 155 000 objets.

[3] François-Georges Pariset, Jacques de Bellange et Jacob von der Heyden » et « Jacques de Bellange, examen de quelques gravures », Archives alsaciennes d’histoire de l’art, 1933, p. 113-122, et 1934, p. 33-66.

[4] Edmond des Robert (1878-1955) fut président de la Société d’Archéologie lorraine de 1926 à 1945.

[5] Henri Bellieni (1857-1938) fut un photographe nancéien renommé. Ami de Victor Prouvé, il participa aux diverses expositions universelles/internationales, dont l’Exposition internationales de l’Est de la France de 1909.

[6] L’exposition dut beaucoup au legs à la Ville de Nancy de la richissime collection de Jean-Baptiste Thiéry et Marguerite Solet par leurs héritiers en 1921. Répartie entre la bibliothèque municipale, le musée des Beaux-Arts et le Musée lorrain, elle contenait notamment 336 cuivres originaux de Callot aujourd’hui conservés au Musée lorrain.

[7] Pierre Marot, « Avant-propos », Le Pays lorrain, 1935, p. 241-242.

[8] François-Georges Pariset, « La gravure lorraine : Jacques de Bellange », Le Pays lorrain, 1935, p. 289-296.

[9] Inv. 2242.

[10] François-Georges Pariset, « La gravure lorraine : Jacques de Bellange », op. cit., p. 289.

[11] Notice de Mélanie Logre dans Paulette Choné (dir.), « Art et le modèle. Les chemins de la création artistique dans la Lorraine de la Renaissance, cat. exp. Musée Barrois, 18 mai – 29 septembre 2013, Bar-Le-Duc, 2013, p. 52-53.

[12] D.95.554. Dépôt du Musée des Beaux-Arts de Nancy.

[13] François-Georges Pariset, « La gravure lorraine : Jacques de Bellange », op. cit., p. 289.

[14] François-Georges Pariset, « Claude Deruet », Le Pays lorrain, 1935, p. 297-310.

[15] Inv. 95.427 et 95.525

[16] François-Georges Pariset, « Claude Deruet », op. cit., p. 306 et 308.

[17] Inv. 5427.

[18] Inv. 95.550.

[19] François-Georges Pariset, « Note sur Georges de La Tour », Gazette des Beaux-Arts, décembre 1935, p. 254.

[20] Pour une étude complète sur l’ensemble des toiles liées  à l’artiste aujourd’hui conservées au musée, voir : Pierre-Hippolyte Pénet, « Georges de La Tour et le mystère de la Femme à la puce » [cat. exp., Nancy, Musée des Beaux-Arts, 31 mars – 2 septembre 2018], en ligne : https://www.musee-lorrain.nancy.fr/fr/hors-les-murs/expositions/georges-de-la-tour/catalogue-numerique/

[21] Lettre du colonel de Conigliano adressée à René Huyghe, datée du 10 mai 1938, Archives nationales, 20144790/50. Nous remercions Dimitri Salmon de nous avoir communiqué ce courrier.

[22] Inv. 3558.

[23] « L’Image Saint-Alexis de Georges de La Tour ou Georges de La Tour au Musée historique lorrain », Le Pays lorrain, 1938, p. 417-430.

[24] Ibid., p. 417.

[25] François-Georges Pariset, « Deux dessins de Jacques de Bellange au Musée lorrain », Le Pays lorrain, 1951, p. 3-18.

[26] Ibid., p. 3.

[27] Inv. 50.2.9.

[28] Nicole Raynaud, « La galerie des Cerfs du Palais ducal de Nancy », Revue de l’art, 61, 1983, p. 7-28.

[30] François-Georges Pariset, « Deux dessins de Jacques de Bellange au Musée lorrain », op. cit., p. 18.

[29] Inv. 49.2.3.

[31] François-Georges Pariset, « Les peintres et graveurs lorrains du XVIIe siècle, II, artistes », Le Pays lorrain, 1953, p. 103-111.

[32] Pierre Marot, « Les peintres et graveurs lorrains du XVIIe siècle », Le Pays lorrain, 1953, p. 101.

[33] François-Georges Pariset, « La Servante à la puce », Le Pays lorrain, 1958, p. 100-108.

[34] Ibid.

[35] Inv. 55.4.3.

[36] Gilberte Martin-Méry fut conservatrice du musée des Beaux-Arts de Bordeaux de 1954 à 1985.

[37] François-Georges Pariset, « La Servante à la puce », op. cit., p. 102.

[38] Pierre Marot, « La “Résurrection” de La Tour en Lorraine », Le Pays lorrain, 1973, p. 56.

[39] Jean Schneider, « De la Lorraine à l’Aquitaine : le cheminement d’un historien de l’art. François-Georges Pariset (1904-1980) », Le Pays lorrain, 1981, p. 1-11. Un autre hommage lui fut également rendu par Henri Claude en 2004. Henri Claude, « À la mémoire de François-Georges Pariset (1904-1980), Le Pays lorrain, Numéro spécial « 1904-2004 », p. 47-50.